« En fait, on cultive tous les deux le vivant ! Moi avec mes raisins, toi, avec tes clients. »
Sébastien est malicieux. Et spontané.
Lorsqu’il a fait cette remarque à Yann, il y a 10 ans déjà, il n’y avait aucune arrière-pensée : juste le constat qu’ici, au Resto-Zinc, c’est la vie qui prime.
Installez-vous au comptoir et observez Yann à l’oeuvre : que vous preniez une grenadine ou un Grand Cru, que vous soyez un habitué (il connait votr’ prénom, vos préférences et la couleur du cartable de votr’ fiston) ou bien le petit nouveau qui vient d’oser franchir la porte, il posera sur vous ses grands yeux et attendra que votre regard croise le sien pour vous demander ce qui vous ferait plaisir. De véritables tranches de vie défilent sous les yeux du patron des lieux : ici, on vient pour s’abreuver, se sustenter… mais pas que.
Alors, quand un ami commun a présenté Sébastien à Yann, il y avait là une belle intuition : ces deux-là ne pouvaient que s’entendre.
Sébastien venait présenter son premier millésime à Paris. Parti de rien (ses parents sont artisans-commerçants), il avait tout à prouver et tout à perdre.
Mais c’est là la beauté de ces passionnés de la vigne : à la fois conscients de l’enjeu, et naïvement, héroïquement prêts à tout.
Non content de découvrir les 312 casquettes de ce métier de vigneron-paysan – où il faut savoir changer une roue de tracteur, remplir des dossiers de subventions et comprendre les subtilités de la taille en Cordon de Royat ou en gobelet – ces illuminés de la douce fiole finissent toujours par réaliser qu’il faudra aussi… vendre leurs bébés.
C’est bien beau d’être parvenu à faire du vin et non du vinaigre, mais à présent, il faut le faire savoir et trouver des acheteurs.
Mais quand on cultive ses vignes comme son jardin, que l’on a placé toutes ses économies dans l’achat de ses parcelles et que l’on vient de vivre l’hiver le plus difficile de toute sa vie à découvrir les joies de la taille dans l’humidité glaçante des coteaux du Loir, on a un peu envie de savoir QUI défendra ses flacons in fine.
QUI parlera de votre vin, de votre travail ?
Sébastien se souvient parfaitement de cette première tournée parisienne, et de ces premiers clients qui sont aujourd’hui des amis. Ces derniers sont aujourd’hui les fidèles parmi les fidèles et ont suivi son travail depuis son installation, en 2008.
Yann aussi se souvient : une dégustation très silencieuse, sérieuse et calme.
« J’ai goûté un à un les vins de Sébastien, je prenais mes notes, il n’y avait pas un bruit. J’étais dans ma bulle, j’étais bien ».
L’émotion et les sensations que lui ont procuré les blancs sapides et cristallins de Sébastien, aux jolis amers et à la finale tout juste enveloppante, il ne les a jamais oubliées. Et le bouquet de sa cuvée Guinguette… le charme et l’espièglerie du Pineau d’Aunis…
Et ce que Yann ne pouvait pas savoir, en dégustant ces jus, c’est le parcours incroyable de l’homme qui leur a donné naissance : Sébastien est bien né au milieu des vignes, à Sancerre, et bien que sans famille dans le métier, il a en effet su très tôt qu’il voudrait travailler dans le vin. Amour de la terre, besoin d’utiliser ses mains, de donner du sens aux choses. Désir d’aller jusqu’au bout d’un travail paysan aussi : accéder à ce stade final dont beaucoup d’agriculteurs sont privés, la transformation ultime du fruit de leur labeur.
Après ses études en viticulture et oenologie, il a choisi sciemment de travailler pour d’autres : ouvrier viticole, puis conseiller, tout en montant une structure de prestation de services. Et puis, cette opportunité : participer au développement d’un vignoble sur l’île de la Réunion !
Ni une ni deux, Sébastien s’envole pour l’Océan Indien, et mène pendant sept ans un travail de titan pour faire du vin au coeur du Cirque de Cilaos. Le terroir est exceptionnel, le climat bien rude : l’irrigation est obligatoire, les maturités sont très difficiles à gérer du fait de la chaleur humide… Un projet fou, qui permet à Sébastien d’affirmer encore davantage son désir intime : faire un jour son propre vin.
Nous voilà en janvier 2007 : Sébastien est de retour en métropole, il lui faut trouver où s’installer. Il a avec lui le soutien de deux ex-coéquipiers de cette échappée Outre-Mer, transformés en deux associés et parrains du domaine en devenir…
C’est ainsi que, au fil des recherches et des voeux (faire du blanc !), Sébastien se retrouve à Jasnières, où il n’aurait jamais espérer dénicher un bout de parcelle. Joie des rencontres, conviction et passion communicatives, il y parvient, et se retrouve ainsi à travailler le Chenin sur le le Lieu-dit « la Roche », moins d’un an après son retour de l’Océan Indien.
Le Domaine de la Roche bleue (clin d’oeil à son parcours… océanique) était né.
Et un vigneron avec.
Aujourd’hui Sébastien cultive 7 hectares en agriculture biologique, et réalise tout juste que 10 ans viennent de s’écouler. Yann cligne à son tour des yeux… Oui, le temps passe bien vite, en bonne compagnie.